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Rencontre avec Rudy Ricciotti

Grand Prix National d’Architecture, Médaille d’Or de la Fondation de l’Académie d’Architecture, Chevalier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres, Officier de l’Ordre National du Mérite, Membre de l'Académie des technologies.

CARACTÈRE : ENTIER ET REBELLE
PASSION : EN DÉCOUDRE AVEC LE POLITIQUEMENT CORRECT
CARACTÈRE : ENTIER ET REBELLE
PASSION : EN DÉCOUDRE AVEC LE POLITIQUEMENT CORRECT

Quelle narration, quel récit de la ville vous a nourri pour concevoir le Mucem ?
Rudy Ricciotti ­: La castagne solaire, l’odeur de l’iode, les ombres ensorcelées, la paranoïa des Suds, la mémoire orientaliste lointaine, le paysage de pierre et de poussière de Marseille.

La proximité de la mer a­ t­'elle été déterminante dans le projet du Mucem ?
R.R ­: Construire sur ce site est culpabilisant. L’horizon méditerranéen pardonne peu. Seuls les signes du travail transcendent de façon critique l’art de construire.

Une fois fini, quels sont les mots que vous mettez pour parler du Mucem ?
R.R ­: Un récit, une narration, une porosité spatiale et imaginaire. Le Mucem plaît aux Marseillais comme à l’étranger. Il est l’illustration du Persan de Montesquieu en visite à Paris. L’échange de regards, le voyeurisme réciproque entre espace et paysage ; la ballade en ziggourat entre terre et ciel racontent un horizon méditerranéen et métaphysique; une alphabétisation mystique.

Vous avez dit : “ Je préfère les 100 mots utilisés en 1930 pour décrire une façade, que les 10 mots qui restent au 21ème siècle ”. Êtes­vous toujours d’accord ?
R.R ­: Oui, encore plus qu’auparavant tant l’amour du bel ouvrage disparaît.

Quelle incidence a pour vous l'uniformisation de la société dans l'architecture ?
R.R ­: La difficulté d’être de l’architecture se heurte à la pornographie du global. Mais depuis quelques temps, il convient de redevenir optimiste, les citoyens ont pris la mesure de notre décadence et de la prédation bureaucratique. Les jeunes sont très avertis. Je m’en réjouis. Les défis de l’architecture d’aujourd’hui concernent la densité, seule solution si l’on veut laisser du terrain non imperméabilisé à nos enfants ; vous noterez que je ne dis pas naturel, mon exigence est modeste. Le défi de l’architecture de demain est de continuer à être un récit compris par chacun et porteur d’un projet de société. Or le premier combat à mener est de se débarrasser des scories d’une néomodernité tardive et asexuée. Au-delà du style c’est l’attitude qui importe.

Expliquez­-nous ce que peut être dans un projet “un récit compris par chacun et porteur d'un projet de société” ?
R.R ­: Je suis un architecte inquiet qui essaye de produire du sens, de considérer le contexte, l’onirisme et le surréel comme les nourritures utiles. L'architecture doit fabriquer du sens certes, mais aussi être fabrique de cohésion sociale. Aujourd'hui, notre société subit une perte de récit et cohésion sociale. L’architecture doit servir à célébrer des moments de vie pour contrer ce manque et réactiver le désir de vivre ensemble. Mon travail célèbre le contexte mais je ne suis pas le seul, les architectes français sont talentueux et concernés par ces enjeux de société.

Pensez­-vous que les moments de vie de chacun sont les mêmes et comment l'architecture peut s'adapter à cette réalité ?
R.R ­: Votre question est un oxymore ; voulez­-vous que je vous serve un pastis ?

Pour vous, il est indispensable de libérer les mots et les paroles si l'on veut libérer les énergies, qu'entendez­-vous par énergies?
R.R ­: Le courage politique pour en découdre avec le politique­ment correct.

Est­-ce le hasard que vos projets soient complexes, ou est­-ce une volonté de concevoir des bâtiments dans lesquels les besoins en main­d'œuvre sont importants ?
R.R ­: Fabriquer une mémoire du travail non délocalisable, ça c’est important ! Fabriquer des projets qui appellent de gros besoins de main d’œuvre, de sorte qu’ils territorialisent l’argent public et soient une clef de recirculation de la fiscalité du travail redistribuée aux acteurs du travail.

Pour vous, quel doit être le rôle social d’un architecte ?
R.R :­ Le même que le vôtre... Mais plus politique et plus optimiste.

Où réside l'authentique sensibilité des architectes ?
R.R ­: Dans la prise de risque.


Pourquoi dites­-vous que votre architecture est plus proche de la verticalité ?
R.R ­: Je ne sais pas, j’ai dit cela ? J’avais encore bu !

Quelle valeur trouvez­vous dans le béton ?
R.R ­: C’est un matériau de très haute densité, il a été utilisé pour résister aux agressions du sel dans le cas du Mucem. Le béton n’est pas froid, il peut être féminin, sexy, sensuel, érotique. Caressez les structures arborescentes du Mucem vous y sentirez soit le corps d’un athlète éthiopien soit le dos de la baigneuse d’Ingres. Le béton porte la vertu principale du travail.

Vous comparez l'architecture et l'art contemporain, en disant qu'ils sont menacés par “l’avachissement intellectuel”, quel en est le remède ?
R.R ­: Rattacher les écoles d’art au Ministère de la Défense.

Vous consentez à être impopulaire, pour vous un projet architectural n'a pas à être sympathique ni humble, quel projet vous a le plus suscité de problèmes ?
R.R ­: Le projet du Louvre, inauguré en 2012, m’a brûlé pendant huit ans. La bureaucratie incompétente de l’établissement public m’a plus bouffé l’énergie que le chantier lui­même. Je garde néan­moins le souvenir de l’excellence des ouvriers sur des semaines de 70 heures, ce qui leur laissait la moitié du temps hebdomadaire pour travailler sans la bureaucratie présente seulement 35 heures derrière les fenêtres du Louvre.

Pensez-vous que les cités qui composent les chapitres du livre d'Italo Calvino “ les villes invisibles ” sont semblables ou différentes ?
R.R ­: Les cités minérales construites avant le 20ème siècle sont toutes belles. Elles portent les signes du travail et de sa mémoire, là est la raison de leur magie. Les villes imaginaires d’Italo Calvino aussi. Un imaginaire sensible, féminin et émouvant.

Vous dites qu'il faut être “ dadaïste et réactionnaire ”, pourtant être dadaïste c'est être provocateur, refusant toute contrainte idéologique, morale ou artistique et être réactionnaire c'est une opposition au progrès, qu'en pensez­-vous ?
R.R ­: Le Dadaïste est un positif lucide de sa société. Le réaction­ naire est un réactif lucide à la modernité.

Ettore Sottsass, un des plus célèbre designers italiens du XXe siècle, que vous appréciez, ne pouvant pas réaliser l'architecture dont il rêvait, préfère l'abandonner pour le monde du design, pourriez­-vous le faire ?
R.R ­: Non, plutôt mourir... le design devient ridicule !


Que pensez­-vous des gens qui ne s'intéressent ni à l'art contem­porain, ni à la danse contemporaine, ni à la poésie ?
R.R :­ Ce n’est pas grave... mais s’ils s’intéressent en échange à l’amour, à la gastronomie et à la littérature c’est très bien... et au sexe c’est mieux encore !

Pensez­-vous que l'architecture et l'art contemporain vont de pair ?
R.R ­: 
Pas du tout. L’architecture est une pétrification des complexités sociales dans l’espace politique. L’art opère sur l’horizon de la lisibilité politique.

Le cinéma peut­il influencer l'architecture ?
R.R ­: 
L’architecture fait déjà beaucoup de cinéma... il ne manquerait plus qu’elle s’autoréférence... alors là on toucherait le fond.

Que diriez-­vous des deux films de Jacques Tati “ Playtime ” et “ Mon Oncle ” consacrés à Paris et à sa banlieue alors en proie à un urbanisme bouleversant. La ville de verre a remplacé la villa de banlieue et Paris est devenu un ensemble de baies vitrées.
R.R ­: Véritable vision avant­gardiste, c’est un vrai critique de la modernité et de la terreur minimaliste. Marseille, 50 ans après, rêve de tours autistes banalisées au verre mercurisé !

Êtes­-vous d'accord sur le fait que les architectes et les cinéastes sont des plasticiens concernés tous les deux par la question du cadre ?
R.R ­: Vous vous foutez de ma gueule ou de vos lecteurs ?

Leurs préoccupations communes se prolongent­elles jusque dans le travail de la lumière ?
R.R ­: Je ne travaille pas la lumière comme phénomène en soi, la lumière est la conséquence de l’architecture. La lumière est un sourire de la réalité ; on peut négocier avec elle. L’ombre est une dimension esthétique de la lumière. D’ailleurs dans le Sud où je vis, il est un proverbe populaire disant que le meilleur dans le soleil c’est l’ombre. C’est parce que j’apprécie la minéralité en architecture que mes propositions construisent des ombres généreuses et des contrastes forts.

Comment définissez­-vous une architecture durable ?
R.R ­: Il faut baisser le niveau d’exigence confort lui même à l’origine du désastre environne­ mental. Il faut favoriser les chaines courtes de production. Il faut augmenter la part main d’œuvre si l’on veut réduire l’empreinte environnementale. Il faut refuser le consumérisme technologique point ultime de l’arrogance occidentale car d’avantage l’on vante les performances thermiques d’avantage l’on augmente les énergies primaires consommées. Il faut refuser la dépendance au high­tech et pratiquer la désobéissance technologique. Il faut éradiquer la bureaucratie fasciste pour économiser en photocopies.

Demain, quel architecte serez­-vous ?
R.R ­: Je n’ai pas d’ambition autre que celle de continuer à avoir du travail à partager avec mes trente assistants. Ils sont honorablement traités et c’est mon honneur de faire face à mes obligations salariales et sociales de patron, qui refuse de licencier malgré la crise, tout en restant au village dans le sud et sans faire de pipes à qui que ce soit, ni être obligé d’être courtisan à Paris.

Propos recueillis par Lysiane Fayolle ­ 
Photos Mucem Lisa Ricciotti
Rudy Ricciotti et Roland Carta – Architectes/Mucem

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