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Rencontre avec Yannick Mireur

MyEurosud a rencontré Yannick Mireur, politologue français, de surcroît Marseillais, qui a eu l'idée de symboliser L'hymne de la Marseillaise par une oeuvre de Ricciotti. 

CARACTÈRE : INDEPENDANT ET PERSEVERANT
PASSION : CHOSE PUBLIQUE, TRANSFORMER MARSEILLE

CARACTÈRE : INDEPENDANT ET PERSEVERANT
PASSION : CHOSE PUBLIQUE, TRANSFORMER MARSEILLE

 

Vous présidez l’association des Amis du Mémorial de La Marseillaise. Comment liez-vous urbanisme, mémoire, et actualité avec le chant national ?
Yannick Mireur :La Marseillaise est un emblème national et universel, comme on l’a vu en 2015 lorsqu’elle fut entonnée par les étrangers eux-mêmes en signe d’amitié pour la France attaquée. La Marseillaise est un héritage considérable de notre culture et du rayonnement historique de la France. Son message est particulièrement actuel au lendemain des « printemps arabes » car elle défend l’émancipation des individus, que le terrorisme islamique combat. Notre objectif est de favoriser une réappropriation de La Marseillaise par les Français, de raffermir leur cohésion autour d’emblèmes tels que le chant national, et cela passe par une œuvre. Comme la culture et l’histoire, l’art fait partie des éléments fédérateurs d’une société, et notamment l’architecture. L’harmonie d’une ville, la beauté des édifices et du patrimoine urbain sont facteurs de cohésion sociale. C’est pourquoi nous avons fait appel à un architecte pour que l’œuvre sur La Marseillaise que nous proposons à Marseille et à Paris enrichisse ce patrimoine.

 

Pourquoi Rudy Ricciotti et le Mucem?
Y.M. :
 Vous connaissez la personnalité de Rudy Ricciotti, sa ferveur volcanique et sa parole libre. Cela correspond bien à La Marseillaise, chant de guerre et chant de liberté. Rudy a immédiatement accepté de nous accompagner. Il croit, comme nous, que la flamme patriotique, ça veut dire quelque chose. En outre, ses ascendances italiennes illustrent cette universalité du chant français auquel chacun, même issu d’une culture étrangère, peut s’identifier. Devenir français, c’est adopter la France et son hymne. Cette question est parfaitement actuelle.  

Rudy Ricciotti est aussi le concepteur du magnifique Mucem, où nous avons pensé installer l’œuvre parce que l’universalité de La Marseillaise fait écho à la mission du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Le Socle dessiné par Ricciotti doit être en béton, comme la résille qui enveloppe le musée, pour lui donner une ligne contemporaine. Enfin, nous proposons de l’installer sur la digue en construction que nous proposons de baptiser Quai de La Marseillaise, parce que La Marseillaise a porté le message français de liberté par-delà les mers, et le nom de Marseille, « Porte de l’Orient », aux quatre coins du monde. La Ville et Euroméditerranée construisent une promenade sur ce quai ; autant qu’il revête une valeur culturelle et fasse redécouvrir aux promeneurs une page d’histoire majeure de cette ville. 


L’œuvre n’est pas qu’un socle. Elle porte un buste en bronze. De quoi s’agit-il ?

Y.M. ­: Ou de qui… L’œuvre est composée du socle en béton signé Ricciotti, et du buste du Dr. François Mireur, jeune médecin varois qui entonna le premier à Marseille le chant de Rouget de Lisle, le 22 juin 1792. C’est un buste en bronze tiré de l’original classé à l’Inventaire, dans les collections de l’université de Montpellier où Mireur fit ses études, s’enrôla dans les clubs politiques et comme volontaire aux armées, après la déclaration de guerre à l’Autriche en avril 1792 qui allait susciter, à l’instigation du maire de Strasbourg, la composition du « Chant de guerre pour l’armée du Rhin ». La place François-Mireur se situe dans le quartier Belsunce, près du Mémorial de La Marseillaise. Mireur fut un passeur ; il doit le rester dans l’œuvre. Pour que le public perçoive en un clin d’œil que le Socle célèbre un emblème lié à la Nation, nous cherchons à y adjoindre un troisième élément, tricolore. La nuit, des éclairages au sol suffiront, mais le jour il faut aussi que le tricolore, et non le buste, s’impose d’abord à la vue. Nous y travaillons.

 

Mireur est aussi une figure oubliée…

Y.M. : Absolument. Or redécouvrir une figure historique aide à revisiter l’histoire. Les Marseillais pourront se réapproprier aussi cette personnalité connue surtout des historiens. J’ajoute une chose sur le Mucem et Mireur. Celui-ci a disparu précocement aux premiers jours de l’expédition d’Egypte, ce qui donne un sens à cet emplacement au pied du MuCem parce que l’expédition fut une rencontre unique dans l’histoire entre chrétienté et islam, terre arabe et modernité européenne. Cette entreprise audacieuse a laissé une empreinte considérable dont la valeur scientifique et culturelle, a abreuvé la tradition des études orientales en France, que le MuCem contribue à enrichir. L’expédition a nourri une fascination pour l’Egypte et pour les grandes heures de la civilisation arabo-musulmane qui ne s’est jamais démentie dans notre pays. La pyramide du Louvre en est la plus récente et spectaculaire illustration, mais aussi l’Institut du monde arabe et les nouvelles salles du Louvre consacrées aux arts de l’islam, auxquelles Ricciotti est associé, ou l’extension du musée à Abou Dhabi.


Envisagez-vous d’autres options ?

Y.M. : Bien sûr d’autres options conviendraient, mais elles ne sont pas nombreuses si l’on veut être audacieux et il appartient à la Ville d’orienter les choses. L’association se fie aux architectes, qui nous paraissent les plus légitimes. André Stern, l’architecte du Mémorial de La Marseillaise, nous a écrit que ce lieu est complémentaire du Mémorial de la Marseillaise. (…) L’œuvre d’art est partie prenante du lieu qui la reçoit. Il lui donne le fondement d’un véritable dialogue de spiritualité, de compréhension architecturale. (…) L’œuvre placée au bord de la mer ne sera pas simplement assise aux portes de la France, mais du monde, adossée à la Méditerranée ». Je crois comme lui qu’il faut se libérer des lieux historiques s’ils ne facilitent pas la fréquentation. Or notre objectif c’est que les visiteurs et les Marseillais s’approprient le Socle de La Marseillaise – et qu’ils soient incités, en découvrant l’œuvre, à se rendre au Mémorial rue Thubaneau.

Au fond votre objectif, c’est la citoyenneté et le rayonnement ?

Y.M ­: Précisément, à l’heure de M2017 [Capitale européenne du sport à Marseille] ! Le sport est un puissant vecteur de citoyenneté. Notre mission est de promouvoir la présence du chant national par des initiatives sportives, festives et patriotiques ; notre fil rouge, c’est la culture et le sport. Le Socle de La Marseillaise, en étant installé dans un lieu emblématique de la ville, à Marseille et à Paris, doit encourager la prise de conscience de l’appartenance citoyenne en valorisant le chant national. Côté sportif, nous travaillons au Relais de La Marseillaise sur le chemin des fédérés marseillais de 1792 entre Marseille et Paris. La course mêle exploit sportif et travail de mémoire. Elle doit mobiliser les coureurs des ligues, des clubs et des unités militaires, et s’accompagner d’une marche tricolore populaire dans les territoires traversés, où chacune à sa manière les communes pourront célébrer La Marseillaise. Le Relais a pour ambition de devenir une des courses références des trailers. Il doit être aussi l’occasion de rendre hommage aux hommes et aux femmes en uniforme, pompiers, soldats, policiers, qui sont très structurés et actifs en matière sportive et de course à pied.

Quant au rayonnement, nous revenons à l’universalité. Nous travaillons d’ailleurs à associer le Relais à la candidature aux JO de 2024 pour lier olympisme et universalisme. Le manuscrit de La Marseillaise sera transmis entre équipes de coureurs comme se transmet la torche olympique, et Marseille et Paris seront liés, comme ils sont jumelés pour cette Candidature. Le Relais doit aussi être l’occasion d’une mobilisation citoyenne pour soutenir le sport et l’accueil des JO en 2024.

 

Pour un défenseur de La Marseillaise, c’est important la France comme nation du sport ?

Y.M : Il y a La Marseillaise des cérémonies officielles, et celle des médailles olympiques. Laure Manaudou a été notre marraine lorsque nous avons lancé à Marseille une opération de financement participatif pour le Socle de La Marseillaise avec Rudy Ricciotti. La Marseillaise des événements sportifs est une Marseillaise joyeuse et spontanée. C’est celle-là surtout que l’on cherche à faire vivre. Et puis il y a le sport en soi, qui fait écho au message de liberté et d’émancipation de La Marseillaise. Le sport, c’est l’accomplissement de soi, mais aussi la fraternité d’une équipe qu’exprime parfaitement un relais. La France, avec Coubertin, a donné ses lettres de noblesse et d’universalité au sport. La Marseillaise du sport est aussi importante que celle, plus solennelle, des lieux de mémoire.

 

Vous n’avez pas parlé de la tour La Marseillaise, autre emblème architectural de Marseille avec la tour CMA-CGM et le Mucem, conçue par Jean Nouvel. Pourquoi ?

Y.M. : C’est vrai que les Marseillais pourront être fiers de cette réalisation qui transformera la ligne d’horizon de la ville. Après tout, le Socle de La Marseillaise aurait sa place près de la tour… Mais il faudrait que la passerelle disparaisse ! Et je ne suis pas sûr qu’il faille se libérer à ce point de la proximité historique ; un quai de La Marseillaise au pied du Mucem et du fort Saint-Jean, cela pourrait être le point de départ d’une balade jusqu’au musée d’histoire et le quartier Belsunce-Mireur-Thubaneau. La tour ne permet pas de faire ce lien pédestre facile. Mais vous avez raison, il faut être créatif et penser hors des schémas classiques. C’est une question que vous devriez poser à Jean Nouvel.

 

Vous êtes connu comme spécialiste des Etats-Unis, mais votre dernier livre, paru en 2014, traite du débat public français. Vous y parlez du rôle de l’architecture dans la cité*.

Y.M. : J’y consacre même une partie du livre. Le mot clef, c’est urbanité, car il a deux faces : architecture et civilité. L’harmonie d’une ville et sa beauté adoucissent les mœurs. Nos villes, où la tension sociale est parfois palpable, où l’incivilité progresse, gagnerait à une politique architecturale. Comme les emblèmes tels que le chant national, le génie national et l’état d’esprit qui « estampille » une identité culturelle, font une nation. La France a le culte du beau, qu’elle partage avec l’Italie. Avant le ministère des Affaires culturelles créé avec André Malraux en 1959, il y avait des secrétaires d’Etat aux Beaux-Arts. Cela est révélateur de l’importance des arts dans la politique en France, qui remonte au Moyen-Age. L’architecture est un élément capital dans ce domaine. Voyez comme dans d’autres pays d’Europe l’architecture, pour être harmonieuse, ne manque pas moins de finesse et de légèreté. La France et l’Italie sont des références en matière d’esthétique et de beauté. Paris reste incomparable. Il a bénéficié dans une période récente de grands projets modernisateurs, ceux de Napoléon III, contrairement à Rome, son seul vrai concurrent, où l’on se sent parfois à l’étroit. Haussmann a fait respirer Paris par ses grandes artères et l’a verdi.

 

Marseille aussi a beaucoup bénéficié de cette période…

Y.M. : Tout à fait ! Napoléon III n’a pas une place de choix dans la mémoire française, marquée par les foudres de Victor Hugo qui s’était converti à la république. Mais c’est un de nos grands chefs d’Etat, visionnaire et ambitieux. Son règne est la dernière époque où l’architecture a nourri à Marseille une ambition. Un de mes ancêtres, Jules Onfroy, maire en 1861, a d’ailleurs eu un rôle décisif dans la réalisation de la seule construction monumentale à Marseille, le palais Longchamp. Le régime impérial nous a aussi légué le Pharo et la rue de République, ancienne rue impériale. J’avance une proposition : rendre son nom ancien à cette artère haussmannienne, et faire du Pharo un musée Napoléon III où seraient mises en valeur les nombreuses réalisations de ce règne et ses ambitions modernisatrices, notamment au plan des infrastructures et du commerce dont Marseille était un élément majeur.

 

Revenons à votre livre.

Y.M. : J’y parle donc du rôle de l’architecture dans l’identification des Français à un génie national propre et à ce moyen, qui appartient d’abord aux pouvoirs publics, de nourrir la cohésion du pays et de générer sa confiance en lui-même. Et la fierté aussi ; les Marseillais ne sont-ils pas fiers du Mucem ? Il est intéressant d’ailleurs de souligner que le Mucem est une institution nationale. Une ambition à Marseille ne peut se passer de l’Etat. Celui-ci a financé le Mucem aux deux-tiers.

Sans l’Etat pas de projet ?

Y.M. : Je ne dis pas cela bien sûr, mais il ne faut pas jouer, comme on le fait au foot et c’est bien normal, à Marseille contre Paris. L’Etat peut accompagner ou impulser des projets aux côtés des collectivités locales. Euroméditerranée est un bon exemple. C’est à l’Etat qu’il revient de pousser à ce que l’urbanisme obéisse à une ambition esthétique. D’autant que dans une période de difficulté économique et sociale, vivre dans une ville belle, cela influe sur l’état d’esprit et le moral. La rénovation urbaine traite bien de cela. C’est aussi important que La Marseillaise ! L’école est d’ailleurs le lieu privilégié de sensibilisation au beau. Eveiller à l’amour du beau, de l’ouvrage, c’est une mission régalienne au pays de Louis XIV.

 

Pour un défenseur de La Marseillaise, vous faites beaucoup référence à la monarchie !

Y.M. : L’histoire est un bloc. Il y a plus de continuité que l’on pense souvent entre la monarchie et les deux siècles qui ont suivi sa chute. L’âme française survit à ces ruptures historiques. Le génie national, qui en France est assez supérieur par rapport à d’autres pays, n’est pas lié entièrement au régime politique. Dans mon livre je cite Giraudoux, qui se désole de « la décadence du génie urbain de la France », tance la république parce qu’elle « se contente de vivre en meublé » dit-il, se bornant à rendre « national » le domaine royal et impérial, sans créer un style propre ni développer de grands projets de construction. Votre question m’amène directement à la Ve République que l’on qualifie souvent de monarchie républicaine. Rien n’exprime mieux que l’architecture cet aspect du régime actuel. Les présidents ont chacun leurs grands projets, François Mitterrand ayant porté cette inclination à son paroxysme avec ce que l’on appelait les Grands Travaux - et aussi, de mon point de vue, la courtisanerie qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait entretenue... Le phénomène n’est plus vrai depuis que l’on a changé de génération. Nos présidents ne sont plus très cultivés et manquent de profondeur historique.

 

C’est important, la culture, en politique ?

Y.M. : C’est capital. La culture est le premier enjeu de la politique. Regardez le malaise français dont traite mon livre, la désorientation qui afflige le pays. Le malaise est culturel car on ne reconnaît plus un projet national et on ne sait plus ce qu’est la nation. La victoire de Trump aux Etats-Unis trahit aussi une anxiété culturelle sur l’avenir de l’américanité. Elle transpire dans la lassitude par rapport aux injonctions moralisatrices du politique­ment correct que Trump a rabroué avec force. C’est une affaire de société et de culture. La culture donc, et aussi l’architecture, aujourd’hui délaissée. A propos d’architecture, et pour illustrer son lien avec la vie de la cité, c’est-à-dire la politique, je rappelle dans mon livre la lettre ouverte des directeurs des écoles nationales d’architecture aux prétendants présidentiels en 2012, plaidant pour une politique de l’architecture. Ils y rappelaient que l’architecture est définie comme d’intérêt public par la loi. Vous voyez que je ne suis pas seul à penser que l’urbanisme est un outil essentiel de l’action politique.

Et puisque nous parlons politique, je ferai cette remarque sur les présidents et les projets culturels. Cela a commencé en réalité avec Georges Pompidou et le centre d’art contemporain qui porte son nom. Pompidou était un homme curieux, intéressé par la création ; son projet cherchait à sensibiliser les Français à l’art contemporain et à promouvoir la création française, il était tourné résolument vers l’avenir. Les autres projets culturels présidentiels, Orsay, Louvre ou Branly, sont davantage orientés vers le passé ou sont des aménagements de prestige. Ils n’ont pas le ressort créatif insufflé par Pompidou. C’est pour cela, entre autres raisons, qu’il fut à mon sens et de loin le meilleur président français – à l’exception de De Gaulle et Napoléon III qui sont des cas particuliers. Tenez, je vous recommande l’opus tout récent d’un ancien directeur du Centre Pompidou dont je partage entièrement les propositions : « La politique culturelle, enjeu du XXIe siècle ». Guillaume Cerutti. Il est Marseillais, en plus.

 

Expliquez­-nous comment vos projets autour de La Marseillaise peuvent ouvrir de nouveaux horizons ?

Y.M. ­: Les pays fonctionnent par cycles.En période de dégradation, ce qui est inévitable après les périodes fastes et de consensus autour d’un projet national et de société, comme par exemple celui de la modernisation institutionnelle et économique sous de Gaulle et Pompidou, il faut s’attacher la cohésion sociale. La culture en est un élément très important. C’est pourquoi nous agissons en matière de sculpture et de patrimoine, et tachons de faire revivre un récit historique, celui de l’avènement de La Marseillaise, par un défi sportif dont on espère qu’il deviendra un événement populaire. Ce qui nous intéresse, c’est que les Français reprennent confiance.


* Hausser le ton ! Relever le débat public français, Apopsix, 2014

asso@lamarseillaise.org - www.lamarseillaise.org

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